Le droit du Mercosul et la diversité biologique

Maria Auxiliadora Minahim

Professeure  (UFBA).

Introduction

J’examinerai dans ma présentation Le droit du Mercosul et la diversité biologique, thème récurrent au Brésil, pays considéré mégadivers et, pour cela même, cible d’intenses attaques sur sa diversité biologique. Ce fait a obligé l’Etat brésilien à chercher des alternatives capables de contrôler l’accès à la diversité biologique des écosystèmes nationaux, surtout à la connaissance traditionnelle associée au patrimoine génétique. Les autres pays du bloc disposent également de quelques lois internes réglementant ce thème ; de plus ils ont participé comme signataires à des conventions internationales et à d’autres événements en rapport avec la protection environnementale. Parmi les premières, il y a l’Accord sur la nappe aquifère Guarani, signé le 2 août 2010 par le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay.

Des auteurs[1] affirment que les pays du bloc ont une claire conscience de la question écologique, de même qu’ils s’intéressent à la prise en charge de celle-ci en raison de l’abondance de certaines ressources naturelles dans leur territoire, comme l’eau douce, dans un monde allant vers un stress hydrique ; un intérêt identique se manifeste envers la diversité biologique de l’Amazonie brésilienne.

Cependant, le Mercosul ne possède pas de normes qui réglementent spécifiquement la protection de la diversité biologique, ce qui peut être attribué à une institutionnalisation encore faible du bloc et non à l’ignorance de l’importance que revêt cette matière pour les Etats membres.

À ce sujet le Document appelé « Stratégie Régionale (DER) » – élaboré en 2007 – destiné à définir les objectifs et les priorités de la coopération entre l’Union Européenne (UE) et le Mercosul pour la période de 2007 à 2013 – quand il traite de la consolidation de ce bloc économique, indique que depuis 2002, date du dernier rapport, « il y a eu peu de progrès dans le sens de la concrétisation d’une union douanière et d’un marché commun structuré »[2]. Le document souligne aussi les défis du Mercosul pour la période, à savoir justement la concrétisation du marché commun. On y trouve également des références aux objectifs de l’UE à l’égard du Mercosul au sujet de l’environnement, et l’une des actions citées consiste à aider « les pays du Mercosul dans leurs démarches d’aménagement et d’adaptation pour lutter contre la perte de la diversité biologique et la déforestation. »

  1. Considérations sur la diversité biologique sur le plan international

L’expression biodiversité aurait été créée par E. O. Wilson en 1986 pour remplacer une autre jusqu’alors employée, diversité biologique, mais elles seront utilisées dans cet exposé comme expressions synonymes signifiant « la mesure de la diversité relative entre organismes présents dans les différents écosystèmes ».

C’est l’ECO 92, comme est connue populairement la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, qui a conféré une projection mondiale à l’expression, en étendant son usage au-delà des frontières de la biologie et lui garantissant un espace important dans l’agenda politique des 193 pays signataires. (168 pays ont signé la CDB, mais 193 l’ont déjà ratifiée).

La Convention de la Biodiversité a été l’une des trois conventions approuvées lors de l’ECO 92, qui a déclaré, parmi ses objectifs, celui de la conservation de la biodiversité, de l’utilisation durable de ses composantes et de la répartition juste et équitable des bénéfices générés par l’utilisation des ressources génétiques.

Un inventaire sur les Normes de la Biotechnologie dans le Mercosul[3] a conclu qu’il y avait peu de progrès dans la mise en œuvre de la norme, en prenant comme exemple de cette affirmation le manque d’exercice du droit de « partager les avantages économiques produits par l’utilisation des ressources génétiques ». Ce droit ne serait efficace que si les offices de brevets exigeaient que le titulaire d’une demande de brevet fournisse l’origine de la ressource génétique utilisée pour son invention, ainsi que l’autorisation d’accès concédée par l’autorité compétente. Cela n’est pas le cas, en dépit des tentatives d’articulation qu’effectuent le Secrétariat de la CDB et l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle).

Après l’Eco 92, certains forums de discussion ont été organisés avec la participation de pays du Mercosul signataires de la Conférence des Nations Unies.

L’Accord-cadre sur l’environnement au sein du Mercosul, signé en 2001, a été l’un des espaces qui ont choisi la biodiversité comme axe thématique. Rien de bien concret d’ailleurs n’a résulté de cet accord qui, de par sa nature, a un fort contenu programmatique, n’ayant pas d’effets immédiats, tout en se fixant des objectifs à atteindre.

Rappelons que tous les pays du Mercosul ont signé le 29 janvier 2000, lors de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB), quand a été approuvé le premier avenant, connu comme Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques. Mais seulement le Paraguay et le Brésil l’ont ratifié. L’Argentine et l’Uruguay n’ont pas procédé de la sorte.

En 2002 s’est tenu un Séminaire de Biodiversité au Brésil au cours duquel les plus grandes avancées ont consisté à reconnaître, au-delà de l’importance du travail politique pour orienter les discussions sur l’environnement et le développement durable, que le bloc devait avec urgence se consolider en tant que tel, en surmontant les obstacles qui l’empêchaient d’atteindre cet objectif.

Lors de la 8e Conférence des Parties[4]  de la Convention de la Biodiversité, à Curitiba, au Brésil en 2006, a été signée une Déclaration de Stratégie de Biodiversité du Mercosul. L’objectif de la stratégie consiste à « établir des lignes directrices et des axes d’action prioritaires pour intégrer les politiques et les actions des États Parties qui s’orientent vers la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant des ressources génétiques ».

Malgré les déclarations et les rencontres internationales, il semblerait cependant que peu de choses aient été faites dans le monde, et non seulement dans le Mercosul, pour contenir les atteintes à la biodiversité puisque, dans une publication de 2010, le Secrétaire Général des Nations Unies, déclare que, bien que les leaders mondiaux aient été d’accord pour atteindre une réduction significative dans le taux de perte de biodiversité à l’horizon 2010, « les principales pressions qui conduisent à la perte de biodiversité ne sont pas seulement constantes, mais dans certains cas, elles s’intensifient »[5].

En cette même année 2010, des représentants de pays du Mercosul se sont réunis à Brasilia avec des gestionnaires brésiliens dans le but de créer un agenda commun pour la biodiversité, et une fois de plus il est apparu que les objectifs des pays signataires de la Convention de la Diversité Biologique n’ont pas été suivis d’effet. Le centre des discussions pendant deux jours, selon les documents publiés, a été l’inclusion de la biodiversité dans l’ordre du jour du Parlement du Mercosul. Le représentant du Brésil a indiqué à cette occasion que de toutes les aires protégées créées dans le monde au cours des huit dernières années, soixante-quinze pour cent représentaient la contribution du Brésil. Ces zones sont surveillées par satellite, ce qui contribuerait à leur préservation.

  1. Législation des États membres

Les normes constitutionnelles des pays du Mercosul portent généralement sur la protection de l’environnement et sont présentes dans les constitutions de tous les pays du bloc, mais leur traduction dans les règles de fonctionnement est réduite, et donc leur impact sur le système de réglementation est relativement modéré. C’est ce qui se produit dans les cas de l’Argentine et du Paraguay comme nous allons le voir.

Le Brésil appartient au bloc des dénommés mégadivers – un groupe de dix-sept pays, qui détiennent ensemble environ 70% de la biodiversité de la planète – et il est, par conséquent, responsable de la préservation des nombreuses formes de vie qu’il abrite. Sur le plan international, le Groupe de pays mégadivers de même esprit (GPMA) s’attache, en plus de fournir une protection à ses ressources naturelles, à développer également des modèles durables de partage avec d’autres pays, à la recherche pour cela de l’établissement d’un Régime international sur l’accès et la répartition des avantages. Les autres pays du bloc ne font pas partie de ce groupe.

Dans le cas du Brésil, il a été démontré que le pays n’a pas été en mesure de faire un usage durable de sa biodiversité parce qu’il n’investit pas assez dans la création ou l’amélioration des laboratoires, et qu’il ne dispose pas de chercheurs quantitativement qualifiés à cet effet. Cela facilite l’introduction illégale d’équipes d’explorateurs, venant parfois de pays plus puissants, et d’autres,  membres d’entreprises nationales, qui convoitent le potentiel contenu dans le sol brésilien[6]. L’action des groupes privés et des sociétés transnationales a été désignée comme biopiraterie, ce qui signifie l’accès non autorisé et le manque de répartition des ressources ou une distribution injuste de celles-ci.

Pour éviter la biopiraterie, le gouvernement brésilien a promulgué le décret n° 5459, en 2005, autorisant l’imposition d’amendes sévères aux chercheurs en situation irrégulière. On dit même que quelques millions en amendes ont été recueillis, dont le total a été estimé à 29 millions de dollars ce qui a valu des critiques[7], surtout dans la presse nord-américaine dans laquelle il était affirmé que le Brésil bloquait la mise au point de nouveaux médicaments qui pourraient apporter des avantages à tous.

C’est un fait bien connu, cependant, que des espèces uniques du Brésil ont été exploitées depuis des siècles par des entreprises, qui ont parfois fait fortune tout en négligeant les communautés locales. Parmi les nombreux exemples, on peut signaler celui du crapaud kambo, présent dans l’État de l’Acre, qui excrète une substance utilisée par les compagnies pharmaceutiques pour développer des médicaments anti-inflammatoires sans accorder quelque contrepartie que ce soit aux peuples de la forêt qui en sont les gardiens. Il y a aussi le cas du cupuaçu, breveté par une société japonaise en 2003, qui a eu pour résultat la loi n ° 11675/08, qui a déclaré le cupuaçu fruit national du Brésil. Dans la même veine, nous avons l’épisode captopril fabriqué par Squibb et bien d’autres.

Les règles relatives à la protection du patrimoine génétique et qui réglementent l’accès aux connaissances traditionnelles associées, le partage des avantages et l’accès à la technologie comme son transfert, son utilisation et sa conservation sont contenus dans la Mesure Provisoire 2186-16. Ce texte juridique codifie aussi les questions d’ordre financier, prévoyant une compensation pour les communautés locales en raison de l’utilisation des ressources nationales. Non pas que le patrimoine génétique soit brevetable. Ce qui n’empêche pas que les connaissances qui lui sont associées soient susceptibles de l’être, à condition que cela soit considéré comme de la biotechnologie[8]. En outre, en 2005, a été adoptée la Loi sur la Biosécurité – la loi 11.105, qui contient des dispositions sur l’utilisation et l’élimination des organismes génétiquement modifiés.

L’Argentine a signé et ratifié la Convention sur la diversité biologique (CDB) ; cependant, elle ne dispose pas d’une norme émanant du Congrès pour réglementer l’accès aux ressources génétiques.

Le Secrétariat de l’Environnement et du Développement Durable, sur la base des dispositions de l’article 41 de la Constitution et de la CDB, a émis la Résolution 1659/2007 dans laquelle sont approuvées les « lignes directrices ou des directives sur l’accès aux ressources génétiques et la participation juste et équitable aux avantages découlant de leur utilisation ». Cette règle administrative, pour être opérationnelle dans les provinces, doit être accompagnée de leur adhésion expresse. Quelques provinces – Chubut, La Pampa, La Rioja, Mendoza, Misiones – ont légiféré dans ce domaine.

En termes de biosécurité, le pays a une expérience significative dans le respect des cultures et des animaux avec des OGM et des aliments dérivés d’OGM. Les règlements sont de la compétence du Secrétariat de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et des aliments du Ministère de l’Economie et de la Production.

Au Paraguay et en Uruguay les lois sont de type général, il n’y a donc pas de législation spécifique sur ces questions. Dans ce deuxième pays, par exemple, il y a une Loi Forestière de 1987 qui prévoit la protection des écosystèmes de forêts naturelles, interdisant également l’intervention dans les forêts indigènes sans l’approbation de l’organisme gouvernemental approprié. Le pays, à l’égard de la biosécurité, fait l’expérience d’un système de transition, tout en étant prêt à adopter une Loi Nationale sur la Biosécurité.

Le Venezuela a adopté en 2008 une Loi sur la Gestion de la Biodiversité qui se distingue des autres en soumettant à l’examen d’utilité publique et d’intérêt social toutes les actions et activités qui ont pour but la gestion des composantes de la diversité biologique. La loi prévoit, à l’exemple de celle du Brésil, un dispositif pour une répartition juste et équitable des avantages découlant de la diversité biologique, en mettant l’accent sur ​​les connaissances des communautés locales et autochtones.

Voilà une brève analyse sur l’énoncé de ce thème qui montre les efforts des Etats, de façon isolée, pour la protection de leur biodiversité, matière qui n’a donc pas encore atteint l’importance désirée au sein du bloc Mercosul.

[1] SANTOS, Sandro Schmitz dos. Reflexões sobre o Acordo Marco sobre Meio Ambiente do MERCOSUL. Revista Âmbito. Disponible sur: http://www.ambito-juridico.com.br/site/index.php? Accès le : 24 fév. 2014.

[2] Document de Stratégie Régionale 2007-2013.02.08.2007 élaboré par la Commission Européenne-Mercosur E/2007/1640. Disponible sur:http://ec.europa.eu/geninfo/query/resultaction.jsp. Accès le: 15 déc. 2013.

[3] Réalisé par le Centro Redes para o Programa Biotech, dans le cadre du contrat intitulé “Inventário diagnóstico das biotecnologias no MERCOSUL e comparação com a União Européia” (BIOTECH ALA-2005-017-350-C2). Disponible sur : http://docs.biotecsur.org/informes/pt/inventario/4_normativa_ms.pdf. Accès le: 22 set.2013.

[4] La Conférence des Parties (COP) est l’organe de décision le plus élevé de la Convention sur la Diversité Biologique – CDB. Elle est constituée par toutes les Parties intégrantes de la Convention (qu’il s’agisse de pays ou bloc régional) qui se réunissent habituellement tous les deux ans. Tous les ans ont lieu des réunions préparatoires des groupes politiques régionaux de l’ONU: (Amérique Latine et Caraïbes, Afrique; Asie et Pacifique ; Europe de l’Est et Asie Centrale; et Europe Occidentale, Canada, Japon, Australie et Nouvelle Zélande; de même que le Groupe des 77 et la Chine; et du Groupe des Pays Mégadivers de même esprit). Voir Convention sur la Diversité Biologique. Disponible sur: www.qqa.com.br/…/PUBLICADO%20-%20Nagoya%20-%201º%20Nota.

[5] Préface du Secrétaire Général des Nations Unies. Dans: Panorama de la Biodiversité Globale. 3/3.  Secrétariat de la Convention de la Diversité Biologique. Disponible sur: www.mma.gov.br/portalbio. Accès le: 15 déc. 2013.

[6] Pour en avoir une idée, l’IPEA, par exemple, attribue à la biodiversité brésilienne la valeur de 2 US$ billions (quatre PIB nationaux). Sociedade e Economia: estratégias de crescimento e de crescimento e desenvolvimento. – Ipea. Disponible sur: www.ipea.gov.br/agencia/images/stories/…/Livro_SociedadeeEconomia.pdf. Accès le: 15 mai 2013.

[7]  Voir, parmi d’autres les articles suivants: Brazil to step up crackdown on biopiracy in 2011. Disponible sur: www.reuters.com/…/us-brazil-biopiracy-idUSTRE6BL37820101222 22 déc. 2010. Accès le: 15 jan. 2011.  This week in review … Brazil to step up fight against biopiracy Disponible sur: http://tkbulletin.wordpress.com/2010/12/29/this-week-in-review-%E2%80%A6-brazil-to-step-up-fight-against-biopiracy/ Accès le: 25 fev. 2011.

[8] À l’appui de ce point de vue, on peut recourir à la loi brésilienne (loi 9279/96) qui ne considère pas invention ou modèle d’utilité : tout ou partie des êtres vivants naturels et des matériaux biologiques trouvés dans la nature ou isolés de celle-ci, y compris le génome ou le matériel génétique de tout être vivant naturel et des processus biologiques naturels. (Article IX) de l’article 10.