Etats émergents et souveraineté sur les ressources naturelles

par Saulo José Casali Bahia

Professeur associé/Faculté de Droit,

Université Féderale de Bahia, Brésil

 

 

Sommaire : Introduction. Premier Mouvement (Réalisme). Deuxième Mouvement (Globalisme). Troisième Mouvement (Pluralisme).

 

 

Introduction. Sur le thème de la souveraineté sur les ressources naturelles, on peut visualiser trois mouvements dans les dernières décades.

Le premier mouvement (réalisme) est lié aux initiatives de décolonisation et de formation de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dans les années 40/70 du XXè siècle.

Le deuxième mouvement (globalisme) est lié, pour sa part, à l’avancement de la troisième globalisation après les années 70, et est une espèce de réaction au premier mouvement. Son idée centrale est la liberté des acteurs économiques internationaux pour promouvoir l’utilisation des ressources naturelles pour les intéressés, et non proprement pour les populations nationales et leurs nécessités.

Le troisième mouvement (pluralisme) est plus récent, et vient avec l’idée d’une effective coopération pour les intérêts communs.

 

Premier Mouvement (Réalisme). La formation de l’Onu pose la question de la formation de l’expression politique d’une majorité. Et la majorité est formée par les pays émergents ou sous-développés, beaucoup en procès de décolonisation dans les années 40/70 du siècle dernier. Même si on a à l’Onu le pouvoir de veto, il s´agit d’un exercice restreint au Conseil de Sécurité par seulement cinq États, et il n’existe pas dans l’Assemblée Générale, où les décisions sont adoptées par la simple majorité. Alors, il faut reconnaître que les résolutions de l’Onu sont plus l’expression de la volonté ou le miroir des pays émergents ou sous-développés que celle des puissances européennes, de la Chine ou des États-Unis d’Amérique.

Alors, la Charte de l’Onu a absorbé le principe international de l’égalité souveraine des États, et de leur droit à disposer d’eux-mêmes.

Et l’égalité souveraine a résulté dans la construction du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.

La Résolution 523 de l’Assemblée Générale (12.2.1952) a considéré que les pays insuffisamment développés ont le droit de disposer librement de leurs richesses naturelles, et doivent utiliser ces richesses de manière à se mettre dans une position plus favorable pour faire progresser davantage l’exécution de leurs plans de développement économique conformément à leurs intérêts nationaux, et pour encourager le développement de l’économie mondiale.

Le principe de l’égalité souveraine, qu’a créé la doctrine de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, répondait par une vision économique propre, où le développement arriverait d’après l’acquisition des mêmes conditions estimées comme présentes dans les pays développés. Il faut alors assurer la présence de ces mêmes conditions pour les pays en développement ou sous-développés, comme moyen d’assurer le même futur. C´était le même esprit de la politique de substitution des importations.

Durant la même année 1952, la Résolution 626, du 21 décembre, a proclamé que «le droit de peuples d’utiliser et d’exploiter leurs richesses et ressources naturelles est inhérente à leur souveraineté».

La Résolution 1314, du 12 décembre 1958, a créé la Commission pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, et l’a chargée de procéder à une enquête approfondie concernant la situation du droit de souveraineté permanente sur les richesses et les ressources naturelles, élément fondamental du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes.

La Résolution 1515, du 15 décembre 1960, a recommandé le respect du droit souverain de chaque État de disposer de ses richesses et de ses ressources naturelles.

La Résolution 1803 (14.12.1962, 87 voix pour, 2 contre et 12 abstentions) a consacré le principe de souveraineté permanente comme «élément fondamental du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes». Et «qu’il est souhaitable de favoriser la coopération internationale en vue du développement économique des pays en voie de développement et que les accords économiques et financiers entre pays développés et pays en voie de développement doivent se fonder sur les principes de l’égalité et du droit des peuples et des nations à disposer d’eux- mêmes». Elle a affirmé aussi que «l’exercice et le renforcement de la souveraineté permanente des États sur leurs richesses et ressources naturelles favorisent l’affermissement de leur indépendance économique».

Le nationalisme a pour conséquence la nationalisation. Alors, il faut prévoir au moins une adéquate indemnisation: «la nationalisation, l’expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national, reconnus comme primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu’étrangers. Dans ces cas, le propriétaire recevra une indemnisation adéquate, conformément aux règles en vigueur dans l’État qui prend ces mesures dans l’exercice de sa souveraineté et en conformité du droit international. Dans tout cas où la question de l’indemnisation donnerait lieu à une controverse, les voies de recours nationales de l’État qui prend lesdites mesures devront être épuisées. Toutefois, sur accord des États souverains et autres parties intéressées, le différend devrait être soumis à l’arbitrage ou à un règlement judiciaire international.» (Résolution 1803).

Les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966, la Charte des Droits Économiques et Devoirs des États du 12 décembre 1974 et la Convention de Vienne sur la Succession des États en matière de Traités de 1978 ont répété la même doctrine.

Le reflet de cette vision ou la présence de cette doctrine est visible dans les manifestations adoptées jusqu’à aujourd’hui par le gouvernement de Bolivie.

À l’occasion de la Conférence Rio+20, le président Evo Morales a fait une large défense de la nationalisation des ressources naturelles, comme «principal outil» pour surmonter la pauvreté et les inégalités dans la région sudaméricaine. Cette vision a créé déjà un problème diplomatique entre la Bolivie et le Brésil, en raison de la nationalisation des réserves de pétrole et de gaz, par la Bolivie après avoir reçu des milliards d’investissements réalisés par le Brésil.

Le Brésil a subi la même influence du nationalisme énergétique de la part du Paraguay, qui a demandé la révision des prix de l’énergie vendue au Brésil et générée par le barrage d’Itaipu, construction payée en large partie par le premier pays.

Et l’Équateur a demandé au Brésil une révision des prix en relation avec l’exploitation de pétrole, même avec tous les hauts investissements brésiliens.

Ces questions sont conduites jusqu´à maintenant sous processus diplomatiques.

Mais, même dans son propre camp, le Brésil discute la doctrine de la souveraineté sur les ressources naturelles, en raison de forces et institutions de tradition plus nationaliste.

Récemment, la vente ou l’enchère du “campo de Libra” discutée en octobre 2013, réserve de pétrole trouvée dans la couche du pré-sel (appelée par sa dimension comme l’Amazonie bleue, avec une capacité estimée de 12 milliards de barils de pétrole, au prix de 1,5 trillion de dollars), a alimenté les encres de la presse et de la politique. Pour plusieurs, il faut affirmer la nationalisation des ressources naturelles pour éviter la «marchandisation» de la nature. Mais cette vision nationaliste n’a pas vaincu de tout au Brésil, plus ouvert à la globalisation que la Bolivie et le Paraguay.

La vision du nationalisme énergétique considère que le discours des pays développés autour de l’économie verte ou d’un environnementalisme signifie un néocolonialisme déguisé, et refuse l’idée que les pays du sud soient des «gardes forestiers pauvres». Il faut, dans le cadre du premier mouvement (nationalisme énergétique), assurer aux états émergents les conditions nécessaires de souveraineté et d’autodétermination pour promouvoir le développement économique.
Deuxième Mouvement (Globalisme). Et contre le nationalisme est apparue une réaction ou une contestation, quelquefois avec la simple affirmation de ce que la possession des ressources naturelles simplement n’existe pas, et que l’exploitation doit être libre pour tous les intéressés.

L’Angleterre souhaiterait avoir l’accès aux richesses naturelles simplement au non du paiement de la dette extérieure: «si les pays en développement ne parviennent pas à payer leurs dettes, il faut vendre leurs richesses, leur richesse et leurs usines». (Margaret Thatcher, Première Ministre d’Angleterre, Londres, 1983). Du même style, les États-Unis: « les pays en développement avec l’énorme dette extérieure doivent la payer avec la terre, en richesses. Vendre leurs forêts tropicales ». (George W. Bush, candidat à la présidence des États-Unis, lors d’un débat avec Al Gore, Washington, 2000).

Même si l’esprit était la coopération dans un monde globalisé et dans une perspective pluraliste (troisième mouvement), quelques expressions peuvent sonner comme une simple déconstruction de la souveraineté: « contrairement à ce que pensent les Brésiliens, l’Amazonie n’appartient pas à eux, mais nous appartient à tous ». (Al Gore, vice-président des États-Unis, Washington, 1989). Dans le même sens que les États-Unis, la France: «Le Brésil doit accepter une souveraineté relative sur l’Amazonie ». (François Mitterrand, président de la République Française, Paris, 1989). Et plus opérationnelle, la Russie: « Le Brésil doit déléguer une partie de ses droits sur l’Amazonie aux organismes internationaux compétents » (Mikhaïl Gorbatchev, chef du gouvernement soviétique, Moscou, 1992). Ou l’Angleterre, une fois de plus : « Les Pays développés devraient étendre la règle de droit pour ce qui est commun à tous dans le monde. Des campagnes internationales écologiques visant à la limitation de la souveraineté nationale sur la région amazonienne quittent la phase propagandiste pour commencer la phase opérationnelle, ce qui peut certainement conduire à une intervention militaire directe sur la région » (John Major, Premier ministre d’Angleterre, Londres, 1992).

«Seule l’internationalisation peut sauver l’Amazonie», a dit le Groupe des 100 (La Ville de Mexico, 1989), et le Congrès des écologistes Allemands (Berlin, 1990) a déjà déclaré que «l’Amazonie devrait être intouchable» (et on doit lire : par les Brésiliens). Dans la même direction on trouve l’affirmation du Conseil Oecuménique des Églises: « L’Amazonie est un site du patrimoine mondial. La possession de ce vaste territoire du Brésil, Venezuela, Colombie, Pérou et Équateur sont simplement indirects  » (Genève, 1992).

Quelques affirmations de représentants de plusieurs pays développés font apparaître qu’il y a un risque de perte des ressources naturelles et conséquemment de la chance du développement économique. Le premier monde paraît pour quelques pays sous-développés comme oiseaux de proie, vampires, intéressés uniquement à s’enrichir au détriment des pauvres et faibles États.

Enfin, le globalisme est construit autour de l’idée d’un accès commun (imposé/compétitif) aux ressources avec la suppression de la souveraineté.

 

Troisième Mouvement (Pluralisme). On doit assumer que le nationalisme énergétique correspond à une vision que la théorie moderne des relations internationales appelle le réalisme (premier mouvement). L’idée du réalisme est liée à l’isolationnisme et à l’autosuffisance.

Le deuxième mouvement, de réaction au nationalisme, est qualifié globalisme. Sous la vision globaliste, il n’y a de place pour aucune prétention nationaliste, et les acteurs économiques (États, entreprises, etc.) doivent agir librement.

Le troisième mouvement (pluralisme) est lié à l’idée d’un accès aux ressources selon un mode coopératif et avec un traitement différencié pour les Etats de possession. Appartient au troisième mouvement l’idée du développement durable (avec ses 60 significations), de la sécurité environnementale, du principe de précaution, des responsabilités communes mais différenciées et de coopération équitable. Il y a la compréhension de ce que la coopération est l’unique espoir de transformer l’homme et les systèmes, l’unique réponse possible, le choix correct pour nous ou le moyen de survivre.

Le troisième mouvement est présent dans les résolutions et conventions plus récentes, qui ont adopté la compréhension d’un monde interconnecté et interdépendant. Par exemple, il est impossible de parler du climat et de son changement sans parler de responsabilités communes et de l’utilisation des ressources naturelles dans l’intérêt de toute l’humanité.

Comme a prévu la Résolution 1803/ONU, l’État semble être le titulaire du droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, «à la condition toutefois qu’il doive exercer ce droit dans l’intérêt du bien-être de sa population». Et, dans un monde coopératif, où les peuples sont interdépendants, il est inconcevable que le bien-être d’un peuple puisse se faire sans le correspondant bien-être des autres peuples, parce que les effets (migrations, isolationnisme économique réactif, criminalité, terrorisme, etc.) peuvent arriver plus tôt qu’on ne le pensait.

La Résolution 1803/ONU doit être lue comme comprenant le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles conditionné à son exercice non seulement dans l’intérêt du bien-être de la population de son propre Etat, mais dans l’intérêt du bien-être de la population de toute la planète.