Sécurité alimentaire en droit de l’Union européenne : vers la renationalisation de la procédure d’autorisation de mise sur le marché des cultures O.G.M. ?

Sécurité alimentaire en droit de l’Union européenne : vers la renationalisation de la procédure d’autorisation de mise sur le marché des cultures O.G.M.[1] ?

Selma JOSSO

Maître de conférences de droit public Membre du G.E.R.C.I.E (EA 2110) Université François-Rabelais de Tours UFR de Droit, d’Economie et des Sciences Sociales

 

Contrairement au corpus international examiné précédemment par le Professeur Rosenberg, la sécurité alimentaire – telle qu’entendue au sein de l’Union européenne (UE)[2] – ne comprendrait que l’aspect qualitatif de la nourriture (la sécurité sanitaire des aliments) et non l’aspect quantitatif (la sécurité des approvisionnements).

En effet, en droit de l’UE, la notion de sécurité alimentaire semble renvoyer de manière exclusive à la sécurité sanitaire des aliments. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le site de l’Union européenne[3] : la stratégie de l’UE dans le domaine de la sécurité alimentaire se décline en trois axes : la sécurité des aliments, la traçabilité des denrées alimentaires et l’application de normes strictes à ces denrées.

Cette vision n’est en réalité que le produit de l’histoire. Au début de la construction européenne, et contrairement à ce qui se passe de nos jours, l’aspect quantitatif (et non qualitatif) primait. La réponse de Pierre Lardinois, commissaire à l’agriculture (1973-1976) aux ministres lui demandant de rendre compte de la Politique agricole commune (PAC) est particulièrement éclairante : « Cette année, l’Europe a été nourrie »[4]. Ainsi, l’un des objectifs initiaux de la PAC était de garantir aux populations des États membres l’approvisionnement des produits alimentaires[5] ; il n’était nul part mentionné – ni même sous-entendu – d’objectif qualitatif.

Plusieurs facteurs expliquent que l’attention se soit peu à peu détournée de la sécurité des approvisionnements pour se focaliser sur la sécurité sanitaire des aliments. Tout d’abord, l’objectif d’auto-suffisance de la PAC est en grande partie atteint dès les années 1980. Ensuite, certains Etats membres ont actionné la clause relative à la protection de la santé publique pour interdire la commercialisation de produits communautaires sur leur sol. En ce sens, que la santé publique soit « instrumentalisée » dans un souci protectionniste (comme dans la célèbre affaire « Cassis de Dijon »[6]) ou qu’elle soit utilisée de manière a priori plus légitime (dans le cadre de crises sanitaires), la conséquence est la focalisation de l’attention sur la sécurité sanitaire. Enfin, ces crises sanitaires ont conduit la Communauté à axer massivement ses politiques sur la sécurité sanitaire des aliments au point que ce versant de la sécurité sanitaire semble – à tort – le seul à être prise en compte.

Ainsi, alors que la sécurité des approvisionnements resurgit (malheureusement) de manière très ponctuelle – voire anecdotique[7] – la sécurité sanitaire semble devenir un élément incontournable du droit européen. Et pour cause, l’aspect qualitatif de la PAC – auparavant ignoré – a été reconnu d’abord par la Jurisprudence[8] puis par les textes[9]. En ce sens, il est devenu un aspect particulier d’une politique européenne emblématique, la PAC. Par ailleurs, il accède au rang de politique européenne intersectorielle irriguant l’ensemble des politiques européennes[10]. Enfin, la sécurité sanitaire continue d’être utilisée par les États membres, sous son aspect protection de la santé publique et dans le strict cadre de la Libre circulation des marchandises (LCM), comme un moyen justifiant d’interdire la circulation de produits « étrangers mais européens ».

Cependant, la récurrence du thème ne doit pas laisser croire qu’il ferait l’objet d’une définition, d’un champ et plus largement d’un statut clairement énoncés. Bien au contraire, son statut est « ambivalent »[11] et la portée de la notion de « sécurité sanitaire » est fluctuante. En tant que politique européenne intersectorielle, elle est constamment confrontée aux objectifs spécifiques des politiques dans lesquelles elle est prise en compte. Les principes de conciliation et de proportionnalité président donc à l’adoption de la législation idoine. Mais lorsque la notion de « sécurité sanitaire » est utilisée au niveau national, c’est afin de contrer (et non pour concilier) l’un des objectifs principaux de l’Union : la libéralisation des échanges. Aussi, et bien que le droit national soit ici encadré par le droit européen[12], l’objectif est donc tout autre selon que la notion soit utilisée par les instances européennes ou étatiques. Dans ces conditions, il est difficile d’appréhender les contours de la « sécurité alimentaire ».

L’actualité récente relative aux Organismes génétiquement modifiés (O.G.M.) illustre parfaitement l’ambiguïté persistante à laquelle le commentateur – et plus largement la société civile – sont confrontés lorsqu’il est question de « sécurité alimentaire » (entendue au sens large).  Selon leurs promoteurs, les O.G.M. permettraient notamment d’améliorer la productivité agricole, la qualité nutritive des aliments et partant, de lutter contre la faim dans le monde. En ce sens, les O.G.M. seraient un outil d’accomplissement de l’aspect quantitatif de la sécurité alimentaire (sécurité des approvisionnements) et, comme toutes « marchandises », devraient circuler librement. Dans le même temps, les détracteurs des O.G.M. dénoncent leurs effets potentiellement néfastes pour la santé ; leur utilisation irait à l’encontre de l’accomplissement de l’aspect qualitatif de la sécurité alimentaire (sécurité sanitaire) et devrait faire l’objet de contrôles renforcés restreignant considérablement – voire interdisant – leur liberté de circulation.  Les débats relatifs aux O.G.M. illustrent donc, une fois n’est pas coutume, que les deux versants d’une même pièce ne sont pas nécessairement complémentaires. Ils peuvent être contradictoires, voire opposés.

Quoi qu’il en soit, l’objet de cette contribution n’est pas de discuter des avantages et inconvénients des O.G.M.. Il est d’établir que les O.G.M. – et à travers eux la sécurité alimentaire – sont actuellement instrumentalisés dans le cadre d’un conflit plus général et récurrent relatif à la qualité de la démocratie européenne[13].

A l’hiver 2013-2014 un débat relatif à la mise sur le marché aux fins de culture de semences génétiquement modifiées[14] eut lieu. Face à l’absence de décision « acceptable » par tous les États membres et à l’impasse politique européenne qui s’en suivit, le Ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, proposa en février 2014 de renationaliser la procédure d’autorisation de mise sur le marché de ces semences. Tel que le débat put être perçu, deux camps s’opposaient : les anti-O.G.M. (composés de certains Etats membres, de la majorité de la population européenne et du Parlement européen) et les pro-O.G.M. (composés d’autres Etats membres et de la Commission européenne). Et c’est précisément dans cette perception simpliste et tronquée que réside l’instrumentalisation évoquée précédemment. Loin d’être un débat purement idéologique – comme on a pu nous le faire croire – il s’agissait en réalité de problématiques relatives à procédure législative européenne[15]

 I – Le prétexte à la proposition (nationale) de renationalisation

Afin de bien saisir les enjeux en présence, et eu égard à la complexité de l’affaire, il convient de rappeler le contexte ayant présidé à la proposition du Ministre français de renationaliser la procédure de mise sur le marché des semences génétiquement modifiées (A). Il sera ensuite établi que l’étendue du pouvoir décisionnel de la Commission était nettement moindre que ce que prétendaient les opposants à la décision critiquée (B).

A – Le contexte : l’affaire du maïs génétiquement modifié 1507

En 2001, et en application de la directive générale 2001/18/CE, la Société Pioneer Hi-Bred International, Inc. et Mycogen Seeds (dite Pioneer) dépose une demande de mise sur le marché des semences aux fins de culture auprès des autorités nationales de son choix, en l’espèce les autorités compétentes espagnoles. Celles-ci établissent un rapport d’évaluation concluant à l’absence de risque pour la santé humaine et animale ou pour l’environnement. En août 2003, ce rapport est transmis à la Commission et aux autorités compétentes des autres États membres ; dès cette date, certains États – dont la France – émettent des objections à la mise sur le marché des semences en question. Afin de prendre en compte ces objections, la Commission européenne sollicite l’Autorité européenne de sécurité des aliments (A.E.S.A)[16] à de nombreuses reprises. Entre 2005 et 2012, cette dernière rend six avis, confirmant dans l’ensemble[17] le rapport d’évaluation des autorités espagnoles. Les différentes publications scientifiques parues depuis 2005 ne permettant pas de conclure à la nocivité du maïs génétiquement modifié 1507, l’A.E.S.A. confirme les avis précédemment émis.

Entre temps, et dans ce contexte de confirmation permanente, la Commission rédige un projet de décision autorisant la mise sur le marché des semences visées. Conformément à la procédure prévue à l’article 18 de la directive 2001/18/CE – et aux règles de comitologie applicables[18] – ce projet est soumis à l’appréciation du Comité de réglementation (le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale) composé de représentants des États membres et présidé par un membre de la Commission[19].

Le 25 février 2009, les discussions conduisent à « l’absence d’avis » ; aucune majorité qualifiée ne s’est dégagée en faveur ou en défaveur de la mise sur le marché[20]. Dans cette hypothèse, la décision comitologie indique que la Commission est tenue de soumettre au Conseil, « sans tarder », une proposition relative « aux mesures à prendre »[21]. Constatant le non-respect de cet aspect de la procédure, et suite à l’envoi d’une mise en demeure (article 265 T.F.U.E.) en décembre 2009, Pioneer saisit le Tribunal en avril 2010 d’un recours tendant à constater la carence de la Commission. Par un arrêt[22] rendu le 26 septembre 2013, le Tribunal ne peut que constater que la Commission a manqué à ses obligations. Suite à cette condamnation, la Commission transmet au Conseil un projet de décision autorisant la mise sur le marché des semences visées. Ce dernier, réuni en Conseil des Affaires générales le 11 février 2014, aboutit, tout comme le Comité de réglementation, à une « absence de décision »[23]. En conséquence, la Commission, interprétant de manière discutable les textes selon certains, élabore la décision autorisant la mise sur le marché des semences « incriminées ».

Cette décision a été fortement critiquée par les anti-O.G.M. au nom du respect de la volonté des peuples, de la majorité des États membres et du Parlement européen. Mais pour que ces critiques soient juridiquement acceptables, encore faut-il que la Commission ait pris une décision au sens premier du terme. Encore faut-il donc que la décision (acte juridique) soit le fruit d’une décision (action de faire un choix).

1 – L’étendue (réelle) du pouvoir décisionnel de la Commission

Le 11 février 2014, la réunion du Conseil a donc abouti à une « non-décision » ; si une majorité s’est dégagée contre la mise sur le marché, il ne s’agit que d’une majorité simple (210 voix) et non de la majorité qualifiée (260 voix) nécessaire à ce qu’une décision soit prise au sens de la directive 2001/18. La question est donc de savoir si, en l’absence de majorité qualifiée (favorable ou défavorable), la Commission est juridiquement décisionnaire

Un large pourvoir décisionnel ?  

Selon les partisans du refus d’autorisation, la réponse est clairement positive. Leurs arguments relèvent de différents registres et portent tant sur le contenu de la décision (argument juridique) que sur sa portée (arguments politique et démocratique). L’argument politique est plus contextuel : eu égard au rejet massif des O.G.M. par les populations, relayé tant par leurs représentants européens que nationaux, la décision de la Commission autorisant la mise sur le marché aux fins de culture des semences visées constituerait un message catastrophique envoyé aux populations, surtout en cette période d’échéances électorales européennes[28]. La valeur politique et symbolique de ces arguments semble indéniable. Pourtant, ces arguments sont fondés sur une instrumentalisation certaine qu’il convient d’établir. Par ailleurs, le juriste ne peut être qu’interpellé par la faible qualité juridique des arguments soulevés.

Enfin et surtout, l’argument juridique concerne l’interprétation de l’article 5-6§3 aux termes duquel : « Si, […], le Conseil n’a pas adopté les mesures d’application proposées ou s’il n’a pas indiqué qu’il s’opposait à la proposition de mesures d’application [à la majorité qualifiée], les mesures d’application proposées sont arrêtées par la Commission ». Selon les partisans du refus d’autorisation, la Commission n’était pas tenue d’autoriser la mise sur le marché ; elle devait simplement prendre une mesure qui, en tant que telle, pouvait être l’autorisation ou le refus d’autorisation. Tout comme elle n’était pas tenue, en application de l’article 5-4 de la décision sur la comitologie de proposer l’autorisation de mise sur le marché ; l’article imposerait, là encore, de proposer des « mesures à prendre ».

Les arguments relatifs au respect de la démocratie semblent de taille et s’appuient sur des prises de position sans équivoque. Ainsi, la population européenne est majoritairement défavorable aux O.G.M. en général comme le souligne l’enquête Euro baromètre de 2010[24]. Cette « suspicion générale » est relayée par leurs représentants nationaux et européens. Le refus des représentants nationaux s’exprime collectivement et individuellement. Collectivement, il se dégage par la nette prise de position des membres des Exécutifs étatiques au sein du Conseil des Affaires générales le 11 février dernier : 19 États sur 28 ont voté contre l’autorisation de mise sur le marché des semences génétiquement modifiés (soit près de 68% des États). Si la majorité qualifiée n’est pas atteinte, ce vote reflète néanmoins l’existence d’une très large majorité en défaveur de la mise sur le marché de ces semences. Individuellement, il s’exprime par la mise en place de moratoires dans de nombreux États[25], voire de législations interdisant les O.G.M.[26]. Les représentants européens expriment également leur désaccord. Par une résolution du 11 janvier 2014, le Parlement européen a non seulement rejeté massivement la mise sur le marché du maïs 1507, mais il a également demandé à la Commission de ne pas accorder de nouvelles autorisations ni de renouvellement d’autorisation[27].

La faiblesse juridique des arguments soulevés 

La qualité juridique de l’argumentation est faible à plusieurs titres. Tout d’abord, il est exact que la Commission est simplement tenue, suite à l’absence d’avis du Comité de réglementation, de saisir le Conseil d’une proposition de « mesures à prendre »[29]. En ce sens, la Commission aurait pu proposer le refus de mise sur le marché du maïs 1507. Néanmoins, ce refus (qui aurait été fondé sur le principe de précaution) aurait eu toutes les chances d’être retoqué par la Cour de justice : les 6 avis de l’A.E.S.A. concluaient à l’absence de risque pour la santé humaine et animale et pour l’environnement. Ainsi, et même dans le cadre d’une acception large du pouvoir décisionnel de la Commission, celle-ci pouvait difficilement – tant d’un point de vue juridique que stratégique – rendre une autre décision. Enfin, en vertu de la décision sur la comitologie applicable en l’espèce, le Parlement européen était simplement informé des mesures soumises par la Commission au vote du Conseil[32]. S’il est possible de s’interroger sur la qualité démocratique de la procédure (à laquelle remédie d’ailleurs la nouvelle décision sur la comitologie), il est juridiquement intenable de reprocher à la Commission de ne pas être liée par l’avis du Parlement

Dès lors, la conclusion s’impose : si la décision de la Commission peut être politiquement contestée, elle est juridiquement incontestable.

Surtout, suite à l’absence de décision du Conseil des Affaires générales (11 février 2014), la Commission était juridiquement tenue d’autoriser la mise sur le marché des semences visées. L’article 5-6§3 de la décision sur la Comitologie est clair sur ce point ; « Si, […] le Conseil n’a pas adopté les mesures d’application proposées ou s’il n’a pas indiqué qu’il s’opposait à la proposition de mesures d’application, les mesures d’application proposées sont arrêtées par la Commission »[30]. La position de la Commission est donc liée par la non décision du Conseil. Dans la mesure où, suite à la condamnation de la Cour de justice de novembre 2013[31] et aux avis de l’A.E.S.A., « les mesures d’application proposées » consistaient en l’autorisation de mise sur le marché, et puisque le Conseil du 11 février 2014 n’avait pas indiqué (à la majorité qualifiée) qu’il s’y opposait, la Commission devait adopter l’acte juridique formalisant les dites mesures d’application, à savoir la décision tant critiquée.

Des arguments anti-démocratiques ?

Les hommes politiques tentant d’infléchir la décision de la Commission sont, à n’en pas douter, des démocrates convaincus. Logiquement, leurs arguments n’ont pas pour objet d’être anti-démocratiques. Bien au contraire, les tenants du refus de la mise sur le marché du maïs 1507 s’appuient sur les opinions de la population (exprimées par les sondages) et de ses élus tant nationaux qu’européens (exprimées lors de votations) pour arguer que la « démocratie européenne est à la ramasse »[33]. Surtout, nier les résultats des votes du Conseil des Affaires générales revient à nier la règle selon laquelle la décision est prise à la majorité (en l’espèce qualifiée). Ce principe est pourtant l’essence de la démocratie ; remettre en cause la légitimité de la décision prise en application d’une règle légale conduit ainsi, potentiellement, à saper l’autorité de l’ensemble des décisions adoptées et par là-même, les fondements démocratiques de la société (européenne). Que l’on soit en présence d’une application particulière ne remet pas en cause la validité de ce principe, d’autant que cette règle de votation a été acceptée par les États membres – dans le cadre du Conseil – lors du vote de la décision sur la comitologie. De manière plus nuancée, il suffirait d’affirmer que les modalités de vote applicables en l’espèce ne sont pas satisfaisantes et qu’il convient de les modifier. Tel n’est pourtant pas le point de vue adopté, notamment par le Gouvernement français, fer de lance de la lutte anti-O.G.M..              Le 17 février dernier, en marge d’une réunion à Bruxelles, le Ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a affirmé vouloir renationaliser la procédure d’autorisation des cultures O.G.M.. Cette renationalisation s’opérerait, via l’application du principe de subsidiarité, chaque entreprise produisant des O.G.M. devant demander à chaque État l’autorisation de mise en cultur

Cette proposition – en cours de négociation – marquerait une certaine rupture avec la procédure en vigueur (A). Elle marque surtout l’échec des différentes possibilités offertes aux États pour interdire la culture d’O.G.M. (B). Néanmoins, il ne faudrait pas se leurrer sur l’origine de la proposition. Celle-ci n’est en réalité qu’une adaptation d’une proposition soumise par la Commission européenne dès 2010 (C). 

II. L’origine (européenne) de la proposition de renationalisation

Une telle attitude risque d’être contre-productive. Elle tend à considérer que la Commission est responsable de la décision d’autorisation de mise sur le marché. Autrement dit, la non-décision du Conseil aurait pour effet de déplacer le centre de décision du Conseil – organe intergouvernemental démocratique – vers la Commission – organe supranational technocratique. Or, et sans revenir sur le fait que les membres de la Commission bénéficient d’une double investiture étatique et euro-parlementaire, il a été précédemment établi que la décision que la Commission doit prendre n’est que le fruit de l’absence d’accord des États membres contre l’autorisation de mise sur le marché. Dès lors, si la décision politique semble prise par la Commission, ce n’est que parce qu’elle y est juridiquement tenue. Le centre de décision ne se déplace donc qu’en apparence. En refusant d’endosser la responsabilité tant politique que juridique de cette décision, les gouvernants nationaux opèrent un transfert de la responsabilité politique de la décision vers la Commission. Cette attitude est d’autant plus critiquable que les États membres ont eu un peu moins de 13 ans (!) pour se mettre d’accord et qu’ils ont, par deux fois, échoué à adopter une position permettant d’interdire la mise sur le marché des semences considérées. Notons, à titre incident, mais révélateur d’incohérences, que le maïs 1507 est autorisé dans les denrées alimentaires humaines et animales depuis 2005, la dernière décision d’exécution de la Commission en la matière datant de novembre 2013[34]

A – Une rupture relative avec la procédure actuelle          

La proposition du Ministre S. Le Foll est relativement simple. Elle consiste en un rapatriement du centre décisionnel au sein du giron étatique ; chaque État serait libre d’autoriser ou d’interdire la mise en culture, sur son territoire, d’un O.G.M. ; chaque État aurait la maîtrise de la procédure d’autorisation.

Du reste, l’européanisation de la procédure d’autorisation est loin de nier la liberté des États de refuser la mise sur le marché d’O.G.M.. Ainsi, la participation des États membres est assurée à tous les stades d’élaboration de la décision, d’abord en qualité de composante du Comité de réglementation (phase obligatoire) puis en qualité de composante du Conseil (phase facultative). Composé de représentants des États membres et présidé par un représentant de la Commission, le Comité de réglementation rend un avis sur le projet soumis par la Commission – en l’espèce le projet d’autorisation de mise sur le marché. Si l’avis est conforme au projet, la Commission arrête les mesures envisagées. Inversement, si l’avis n’est pas conforme au projet ou en l’absence d’avis, le Conseil intervient et statue sur le projet de la Commission. Ensuite, la procédure garantit le caractère décisionnel des votes des États membres. Alors que dans la phase obligatoire, la Commission arrête la décision en application de la procédure de « l’avis conforme »[37], lors de la phase facultative, la décision de la Commission – cela a été établi précédemment – est liée par celle des États membres réunis en Conseil.

Par ailleurs, les États membres ont toujours la possibilité d’utiliser notamment la clause de sauvegarde[38] leur permettant, sous certaines conditions et pour un temps donné, d’interdire sur leur territoire la mise sur le marché des produits génétiquement modifiés suspects.

La proposition française est donc le marqueur d’une autre réalité. Loin de se voir imposer une décision à laquelle ils n’ont pas pris part, certains États membres refusent une décision avec laquelle ils ne sont pas en accord. Aussi, la rupture est surtout idéologique : elle marque la faillite de la méthode communautaire ayant consisté, en la matière, à ménager – au sein de compétences européennes – de réelles marges décisionnelles aux États incarnées tant par le processus décisionnel (v. supra) que par le principe de précaution (v. infra).

B. L’inefficacité des clauses de sauvegarde et mesures dérogatoires

Confrontés à l’autorisation de mise sur le marché d’un O.G.M. qu’ils refusent, les États membres bénéficient, a priori, de deux types de mesures, spécifique ou générale, leur permettant d’interdire sur leur sol la mise sur le marché dudit O.G.M.. La mesure spécifique est visée à l’article 23 de la directive 2001/18/CE ; elle reconnaît aux États le droit de mettre en œuvre la clause de sauvegarde après chaque autorisation de mise sur le marché. La mesure générale a été introduite par le Traité d’Amsterdam à l’article 95-5 (devenu article 114-4 TFUE). Elle permet aux États membres de maintenir ou d’introduire des dispositions nationales incompatibles avec une mesure d’harmonisation adoptée au niveau communautaire, lorsque cela est justifié par des exigences importantes, notamment la protection de la santé ou celle de l’environnement. Par ailleurs, les États peuvent utiliser l’article 36 TFUE[39].           

Or, force est de constater la faible efficacité des mesures – tant spécifiques que générales – et partant du principe de précaution, à permettre aux États d’interdire le mise sur le marché d’O.G.M.. Ainsi, les différents États ayant excipé l’ex-article 95-5 TCE en matière d’O.G.M. se sont heurtés au principe d’interprétation stricte des dispositions permettant de déroger à des mesures d’harmonisation européenne[44]. En matière de d’appréciation de la clause de sauvegarde, la récente expérience française relative au maïs MON810 est particulièrement éclairante. A n’en pas douter, elle a influencé la volonté de renationaliser les autorisations de mise sur le marché. Sans revenir sur les péripéties procédurales[45] auxquelles le moratoire a été confronté, la France a échoué à établir les deux éléments justifiant l’application de la clause de sauvegarde : l’urgence et la preuve scientifique de risques importants mettant en péril de façon manifeste l’environnement[46].Prenant acte de l’inefficacité des outils dont disposent les Etats, la Commission avait décidé de donner une plus grande latitude aux États en matière de culture O.G.M. »[48]. C’est l’objet d’une proposition soumise aux États dès juillet 2010 et dont s’inspire fortement la proposition du Ministre français de l’Agriculture.

C. La proposition initiale de la Commission

Ainsi, et au-delà des différentes sources textuelles dont les États disposent, force est de constater que les Juridictions relèvent toutes l’absence de preuves scientifiques établissant à minima le risque de nocivité des cultures O.G.M. examinées dans chaque cas d’espèce. Or, comme le soulève le Comité éthique de l’I.N.R.A., cette « approche classique […] de l’idée de risque […] ne convient pas pour caractériser ce qu’il est convenu d’appeler les risques conjecturés, hypothétiques, non avérés ou potentiels. Du fait de l’incertitude scientifique dans laquelle baigne l’existence même ou l’occurrence de ces derniers, une estimation de la probabilité de leur réalisation n’est pas possible à court terme et ne peut être assurée à long terme, sans être écartée pour autant. »[47]. Autrement dit, c’est la notion même de risque – notion centrale dans la mise en œuvre du principe de précaution – qui par définition, interdit l’efficacité des mesures spécifiques et générales dont disposent les États membres en matière d’O.G.M..

En matière d’O.G.M., l’application de ces diverses mesures est interprétée à la lumière du principe de précaution[40] consacré tant pas les Traités[41] que la Constitution française[42]. Le principe de précaution se décline également dans un ensemble de textes « législatifs »[4

Dans ces conditions, l’européanisation de la procédure s’apparente, en réalité, à une technique permettant que la décision soit prise collégialement et non individuellement – par l’État membre auprès duquel la demande d’autorisation a été déposée ou par la Commission

Or, contrairement à ce que laissent croire les propos du Ministre français de l’Agriculture, la procédure applicable à l’autorisation de mise sur le marché des cultures d’O.G.M. n’est ni entièrement ni nécessairement européanisée[35]. Elle n’est pas entièrement européanisée dans la mesure où l’entreprise souhaitant mettre sur le marché des semences G.M. aux fins de culture doit déposer sa demande auprès de l’organe compétent de l’Etat membre de son choix, et non devant une institution ou un organe de l’Union. Par ailleurs, la procédure n’est pas nécessairement européanisée. Ce n’est que si, à la lecture du rapport transmis par les autorités nationales en question, la Commission ou un/des Etat(s) maintien(nent) leurs objections que la décision d’autorisation ne relève plus de l’État membre auprès duquel le dossier a été déposé mais de la Commission. C’est donc en cas d’objections persistantes que la procédure s’européanise[36].

A l’été 2010, la Commission européenne publie une proposition de règlement modifiant la directive 2001/18/CE[49]. Son objet est de doter les États membres d’une base juridique solide leur permettant de s’opposer à la culture d’O.G.M. sur des motifs autres que ceux fondés sur une évaluation scientifique des risques pour la santé et l’environnement réalisée au niveau européen. La proposition ne contient pas de liste de motifs justifiant la limitation ou l’interdiction, la seule limite imposée aux États est que les mesures « soient fondées sur des motifs autres que ceux qui ont trait à l’évaluation des incidences négatives sur la santé et l’environnement susceptibles de résulter de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d’O.G.M. » et qu’elles « soient conformes aux traités »[50]. La marge de manœuvre laissée aux États est donc pour le moins importante.

Certes, cette proposition de mentionne pas de « renationalisation » de la procédure d’autorisation. Mais dans la mesure où il a été établi précédemment que la procédure visée n’est en réalité ni entièrement ni nécessairement européanisée, il n’est nul besoin d’évoquer une quelconque « renationalisation ».

Surtout, les propositions de la France et de la Commission contiennent des dispositions procédurales différentes mais dont les effets sont identiques : restaurer la liberté de choix individuelle des États membres. Seulement au lieu que l’État réfractaire aux O.G.M. n’intervienne qu’en fin de procédure d’autorisation (proposition européenne), il interviendrait dès le début de la procédure (proposition française).

Contrairement à ce que l’on aurait pu croire cette proposition n’a pas été rapidement votée par le Conseil. Alors que le Parlement européen a amendé et voté le texte en première lecture, le Conseil, malgré 6 réunions, ne l’a toujours pas adopté. Diverses raisons expliquent la longueur des discussions : faisabilité juridique du projet, conciliation avec les règles de l’OMC et du marché intérieur, liste des motifs justifiant l’opposition d’un État… N’ayant pas accès aux contenus des discussions du Conseil, il est difficile d’évaluer pourquoi certaines questions surgissent lors d’une réunion tandis que d’autres disparaissent. Il est toutefois à noter la récurrence du thème relatif à la conformité de la proposition aux règles de l’OMC et du Marché intérieur.

En tout état de cause, c’est bien dans la continuité des travaux de la Commission et du Parlement européen que la récente proposition du Ministre Le Foll est examinée. Tout au plus faut-il reconnaître que la déclaration a eu pour effet de relancer une discussion abandonnée depuis 2 ans [51] et d’envisager le vote de « cet acte législatif important » avant la fin de l’année 2014[52].

Malheureusement, l’on ne peut qu’être dubitatif sur ce qui pourrait bien être un « effet d’annonce ». Si les positions affirmées lors du Conseil des Affaires générales de février 2014 ne sont, dans le cadre de la proposition de règlement modifiant la directive 2001/18/CE, pas pertinentes[53], les arguments tenants à la conformité aux règles de l’OMC et du Marché intérieur n’ont, en l’état actuel de la législation, aucune raison d’être abandonnés. En conséquence, et sauf à ce que des éléments extra-juridiques changent, la minorité de blocage existante en 2012 devrait encore bloquer le processus décisionnel.

Des éléments de réponses alternatifs à cette proposition de règlement modifiant la directive 2001/18/CE doivent donc être recherchés.

Quelques pistes pour conclure : L’existence de réponses alternatives ?

Plusieurs autres réponses semblent pouvoir être avancées. Certaines sont plus pertinentes que d’autres.

Tout d’abord, il peut être envisagé de reconnaître la pleine valeur juridique aux « principes éthiques » prévus dans la directive 2001/18. Il y est inscrit que « les États peuvent prendre en considération des aspects éthiques lorsque des O.G.M. sont volontairement disséminés ou mis sur le marché »[54]. Certes, plusieurs arguments iraient à l’encontre d’une telle reconnaissance. Il ne s’agit que de « principes » et non de « droits » qui plus est inscrits dans un considérant de la directive et non dans un article. Leur force juridique en serait amoindrie. De plus, la directive dans son ensemble et plus particulièrement la clause de sauvegarde (article 23) évaluent la nocivité potentielle d’un O.G.M. en fonction des seules données scientifiques. Dans cette perspective, la validité d’un refus fondé sur des principes éthiques – dont la teneur est par définition fluctuante – serait juridiquement infondée. Enfin, le seul précédent jurisprudentiel[55] existant tendrait à démontrer la faiblesse de cette piste ; la Cour a  considéré que la loi polonaise – fondée sur des motifs religieux et éthiques – interdisant de manière générale la culture d’O.G.M. sur son sol méconnaissait les obligations tirées de la directive 2001/18/CE.  Néanmoins, arguer de cette jurisprudence ne semble pas pertinent. En effet, la Cour a seulement choisi de statuer sur la finalité de la directive 2001/18/CE et non, comme l’y incitait la Pologne, sur le fait que les motifs éthiques et religieux ne relevaient pas du champ d’application de la directive mais de l’ex-article 30 TCE (devenu article 36 T.F.U.E.). Autrement dit, la Pologne excipait la mesure générale inscrite dans le traité alors que la Cour est restée concentrée sur la mesure spécifique inscrite dans la directive. La question de la validité juridique de cet argumentaire reste donc posée. Mais quand bien même la Cour entendait rester sur le respect de la directive, elle aurait pu s’appuyer sur le considérant 9 relatif aux « principes éthiques » et sur les dispositions relatives à la consultation des Comités éthiques pour examiner la validité de l’argumentaire polonais. Cet arrêt marque en réalité un refus très clair de se placer sur le terrain – sensible – de l’éthique. Mais ce refus est davantage fondé sur des considérations stratégiques que sur une impossibilité juridique ; « les considérations éthiques ne sont pas étrangères à la directive et […] doivent dès lors se régler dans ce cadre »[56]. Rien n’interdit donc de penser que la Cour pourrait opérer un revirement de jurisprudence donnant leur « juste » place aux principes éthiques. Dans l’attente d’une éventuelle modification de la directive 2001/18/CE, cette solution prétorienne contrebalancerait la seule prise en compte des risques scientifiquement établis dont on a vu qu’ils nuisent à l’efficacité du principe de précaution.

Surtout, pour que la valeur proprement éthique de l’argumentation puisse être utilement avancée, il conviendrait que la rigueur de ceux qui la professent ne puisse être remise en cause. Dans le cas contraire, les motifs éthiques pourraient être systématiquement refusés et assimilés à des motivations protectionnistes, ce qu’ils n’ont pas vocation à être. Encore faut-il donc que les Comités éthiques nationaux soient à l’abri des luttes partisanes, qu’ils soient irréprochables en termes de rigueur scientifique et de probité. Malheureusement, tel ne semble pas être le cas du Haut Conseil des Biotechnologies (H.C.B.) créé spécifiquement pour traiter des O.G.M.[57], comme l’illustrent les démissions massives intervenues à la moitié de son premier mandat. Plus précisément, les démissionnaires – non remplacés à ce jour – appartenaient à l’une des composantes – indépendante – du H.C.B. : le Comité  économique, éthique et social (C.E.E.S.)[58]. Loin d’être imputables aux seules personnalités choisies pour appartenir au C.E.E.S., les blocages ayant conduit aux démissions sont la conséquence de la composition « lobbyiste » du Comité. Qu’on en juge plutôt : représentants de syndicats (C.G.T., C.F.D.T., F.N.S.E.A., Union nationale des apiculteurs..), d’O.N.G. (Greenpeace, France Nature environnement…) ou d’associations (Association des Maires, U.F.C. Que choisir…) et de « personnes qualifiées ».  Les membres du C.E.E.S. représentaient donc des intérêts divergents voire opposés et irréconciliables en matière d’O.G.M. ; les discussions étaient dès le départ vouées à l’échec, écornant fortement la crédibilité du Comité.

Tout autres auraient été les discussions si le C.E.E.S. avait été effectivement compétent pour traiter de l’éthique. Tel semble par exemple le cas du Comité d’éthique et de précaution de l’I.N.R.A. (COMEPRA) composé de personnalités issues de disciplines différentes (notamment philosophie, biologie, neurobiologie, agronomie, économie…).

Quelle que soit la solution choisie pour sortir de l’impasse, espérons qu’elle sera rapidement élaborée et assumée par l’ensemble des parties prenantes.

mars 2014.

[1] Le présent texte est la mise en forme écrite d’une contribution orale au Colloque EUROSUL – Ressources naturelles et Responsabilité – organisé par le GERCIE (Faculté de droit de Tours) en mars 2014. Afin de rester fidèle à l’esprit du colloque et pour retranscrire au plus juste le contenu de la contribution présentée oralement, ce texte ne comprend pas les éventuels apports législatifs survenus depuis.

[2] Dans un souci de clarté et de simplification, les termes « Union européenne » et « européen » seront utilisés pour désigner – généralement et donc de manière anachronique – l’ensemble du droit et des institutions européennes

[3] http://europa.eu/pol/food/index_fr.htm consulté en mars 2014.

[4] K. SEIDEL, « La politique agricole commune et la politique commune de la pêche : des domaines contestés », in E. BUSSIERE, V. DUJARDIN, M. DUMOULIN, P. LUDLOW, J. W. BROUWER et P. TILLY (sous dir.), La Commission européenne – Histoire et mémoires d’une institution – 1973-1986, p. 321.

[5] Article 39 Traité de Rome. V. parmi d’autres C. BLUMANN, « Les implications de la sécurité alimentaire dans l’évolution de la politique agricole commune », in J. BOURRINET, F. SNYDER (sous dir.), La sécurité alimentaire dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 69 et s.

[6] CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG contre Bundesmonopolverwaltung für Branntwein (dite Cassis de Dijon), aff. 120/78, rec. p. 649.

[7] On notera cependant un regain d’actualité de ce thème depuis l’arrêt de la Cour de justice remettant en cause la base légale du Programme européen d’aide aux plus démunis. Si la création du Fonds européen d’aide aux plus démunis au 1er janvier 2014 a pour objectif de pallier l’inadéquation de la base juridique jusque-là usitée en en faisant une annexe du Fonds social européen – et plus de la PAC – la question de son financement n’en reste pas moins problématique comme en témoigne les débats houleux de l’été 2013.

[8] CJCE, 23 février 1988, Royaume-Uni c. Conseil (affaire dites des hormones), aff. 68/86, rec. p. 905.

[9] Notamment  dans le cadre de la réforme de la PAC, F. GROSSETETE, Table ronde « Les perspectives mondialisées de la sécurité alimentaire », in H. de CHARRETTE, E. HELARD (sous dir.), La sécurité alimentaire : entre précaution et responsabilisation, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 74.

[10] Cette « nouvelle politique de l’alimentation » a été qualifiée d’ « optique politiste » définie comme « un processus typique suivant lequel un champ politique est progressivement différencié et isolé. L’apparition d’un nouveau besoin social donne lieu à l’adoption d’un programme d’action autour duquel se constitue une nouvelle communauté administrative, politique et juridique ».  L. AZOULAY, « La sécurité alimentaire dans la législation communautaire », in J. BOURRINET, F. SNYDER (ss dir.), op. cit., p. 42.

Cette « optique politiste » se traduit notamment par le passage de directives sectorielles à l’adoption d’un « texte socle », le règlement 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, J.O.C.E., L 31 du 1er février 2002, p. 1–24. Ce règlement créé le système d’alerte européen et fonde les 4 règlements (H1, H2, H3 et H4) fixant les règles applicables aux professionnels (H1 et H2) et les règles de contrôle applicables aux administrations étatiques (H3 et H4).

[11] L. AZOULAY, art. précité., p. 48 et s.

[12] « Les rapports entre [sécurité alimentaire] et [principe général et fondamental de libre circulation] sont régis par des techniques de type « hiérarchique », en application des règles classiques de la lex specialis »,  Ibid., p. 49.

[13] Lors de la procédure législative européenne relative à la mise sur le marché de semences génétiquement modifiées, Corine Lepage, députée européenne par ailleurs pro-Europe, a  qualifié la démocratie européenne « d’à la ramasse ». V. son compte Twitter, 11 février 2014.

[14] En matière d’O.G.M., la législation diffère selon qu’il s’agisse de « mise sur le marché aux fins de culture de semences génétiquement modifiées » ou «  de mise sur le marché en vue de la circulation de semences génétiquement modifiées  ». Dans le présent article, il ne sera question que de « mise sur le marché aux fins de culture de semences génétiquement modifiées  ». Toutefois, pour ne pas alourdir le propos, l’expression « mise sur le marché de semences génétiquement modifiées  » sera préférée.

[15] Avant toute chose, il convient de préciser les bases juridiques textuelles applicables. En matière d’O.G.M., deux types de réglementation s’appliquent. La première, dite horizontale ou générale, est relative à la dissémination volontaire d’O.G.M. dans l’environnement (Directive 2001/18/CE du PE et Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, JOCE L106/1, 17 avril 2001). La seconde réglementation, dite verticale ou sectorielle, concerne les conditions de mise sur le marché d’O.G.M. dans des secteurs « sensibles » (sauf erreur, à ce jour, seules deux réglementations ont été adoptées) : les médicaments (règlement n° 726/2004/CE du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments, J.O.U.E., 30 avril 2004, qui remplace règl. n° 2309/93, 22 juill. 1993, J.O.C.E., 24 août 1993) et les denrées alimentaires (règlement n° 1829/2003/CE du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, J.O.U.E.,  18 Octobre 2003, qui remplace règl. n° 258/97/CE, 27 janv. 1997, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires)

[16] A.E.S.A. plus connue sous son acronyme anglais E.F.S.A.

[17] Notons que l’avis rendu le 19 novembre 2011 – remplacé par l’avis du 24 février 2012 – demande à la Société Pioneer de mettre en place un plan de surveillance.

[18] Déc. 1999/468 CE  dite décision comitologie du 28 juin 1999 fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à  la Commission, dite décision sur la comitologie, J.O.C.E. L 184, 17 juillet 1999, p. 0023 – 0026.

[19] Article 5 de la décision comitologie.

[20] Six États membres (91 voix) ont voté pour, douze États membres (127 voix) ont voté contre, sept États membres (95 voix) se sont abstenus et deux États membres (32 voix) n’étaient pas représentés.

[21] Décision comitologie, article 5-4 : « Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen ».

[22] Tribunal (septième chambre),  26 septembre 2013, Pioneer Hi-Bred International, Inc. contre Commission européenne, Aff. T-164/10, non encore publié.

[23] Dix-neuf États membres (210 voix) ont voté contre, cinq États ont voté pour et quatre États se sont abstenus.

[24] « L’étude met en évidence une suspicion générale du public européen à l’égard des aliments GM. Une importante proportion, soit 70%, sont d’accord pour dire que les aliments GM ne sont fondamentalement pas naturels. En effet, 61% des Européens s’accordent à dire que les aliments GM les mettent mal à l’aise. De plus, ils sont une majorité à marquer leur désaccord sur plusieurs affirmations : 61% estiment qu’il ne faut pas encourager le développement d’aliments GM, 59% que les aliments GM ne sont pas sans danger pour leur famille, et 58% que les aliments GM ne sont pas sûrs pour les générations futures. » Enquête euro-baromètre 73.1, Les Biotechnologies, octobre 2010, p. 21 (C’est nous qui soulignons).

[25] Il est difficile de comptabiliser le nombre exact d’États interdisant la culture d’O.G.M.. Le positionnement étatique varie notamment en fonction du produit incriminé ou encore de la procédure utilisée. En 2010, et selon la Commission, l’Autriche, la Hongrie, la France, la Grèce, l’Allemagne et le Luxembourg ont interdit la culture du maïs génétiquement modifié MON 810 sur leur territoire. L’Autriche, le Luxembourg et la Hongrie ont notifié à la Commission qu’ils interdisaient la culture de la pomme de terre Amflora (l’autorisation de culture de cet O.G.M. a été annulée par le Tribunal de l’Union le 13 décembre 2013). V. en ce sens MEMO/10/325, 13 juillet 2010, p. 3. Par ailleurs la Pologne avait voté une loi interdisant la commercialisation de tout O.G.M. en 2002. Pour son conformer au droit européen, cette loi a été abrogée en 2013. Dans la foulée, un moratoire a été mis en place interdisant la culture du maïs MON810 et de la pomme de terre Amflora.

[26] Le seul État dans ce cas est la Pologne : en 2006, la loi interdisant les O.G.M. destinés à être utilisés dans les aliments pour animaux a été votée. La Commission a engagé un recours en manquement jugé irrecevable par la Cour ;  CJUE, 5ème chbre, 18 juillet 2013, Commission européenne c/ République de Pologne, Aff. C-313/11.

[27] 385 voix contre, 201 voix pour et 35 abstentions ; Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2014 sur la proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché à des fins de culture, conformément à la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, d’un maïs génétiquement modifié (Zea mays L., lignée 1507) pour le rendre résistant à certains parasites de l’ordre des lépidoptères (2013/2974 (RSP)), P7_TA-PROV(2014)0036.

[28] « A quelques semaines des européennes, donner cette autorisation sera extrêmement périlleux pour l’image de l’UE et de ses institutions », a sur ce point averti Thierry Repentin. « C’est la pire des décisions au pire des moments », a renchéri son homologue hongroise. « Nous avons une majorité claire contre cette autorisation. Passer outre, cela va favoriser la montée de l’extrême droite », a-t-elle souligné. L’Express,  11 février 2014.

[29] Décision sur la comitologie, article 5-4 : « Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen ».

[30] Mis en italiques par nous.

[31] Voir infra.

[32] Décision sur la comitologie, article 5-4 : « Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen » (C’est nous qui soulignons).

[33] Propos tenus pas Corine Lepage, députée européenne, sur compte Twitter. Voir Infra.

[34] Décision d’exécution de la Commission 2013/650/UE du 6 novembre 2013 autorisant la mise sur le marché de produits contenant du maïs génétiquement modifié MON89034 × 1507 × MON88017 × 59122 (MON-89Ø34-3 × DAS-Ø15Ø7-1 × MON-88Ø17-3 × DAS-59122-7), quatre types apparentés de maïs combinant trois événements de transformation simples (MON89034 × 1507 × MON88017 (MON-89Ø34-3 × DAS-Ø15Ø7-1 × MON-88Ø17-3), MON89034 × 1507 × 59122 (MON-89Ø34-3 × DAS-Ø15Ø7-1 × DAS-59122-7), MON89034 × MON88017 × 59122 (MON-89Ø34-3 × MON-88Ø17-3 × DAS-59122-7), 1507 × MON 88017 × 59122 (DAS-Ø15Ø7-1 × MON-88Ø17-3 × DAS-59122-7) et quatre types apparentés de maïs combinant deux événements de transformation simples (MON89034 × 1507 (MON-89Ø34-3 × DAS-Ø15Ø7-1), MON89034 × 59122 (MON-89Ø34-3 × DAS-59122-7), 1507 × MON88017 (DAS-Ø15Ø7-1 × MON-88Ø17-3), MON 88017 × 59122 (MON-88Ø17-3 × DAS-59122-7)], consistant en ces maïs ou produits à partir de ceux-ci, en application du règlement (CE) n ° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil [notifiée sous le numéro C(2013) 4755] Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, J.O.U.E. L 302 , 13 novembre 2013, p. 0047 – 0052

[35] Rappelons que la procédure applicable était prévue par la directive 2001/18/CE précitée.

[36] Le titre de l’Article 18  de la directive est révélateur de l’européanisation de la procédure : « procédure communautaire en cas d’objection ».

[37] Il convient par ailleurs de noter que le représentant de la Commission ne prend pas part au vote.

[38] Article 23 de la directive 2001/18/CE.

[39] Article 36 TFUE : « Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. »

[40] Sur clause de sauvegarde et principe de précaution, V. par exemple CJCE, 9 sept. 2003, Monsanto Agricoltura Italia SpA et autres contre Presidenza del Consiglio dei Ministri et autres, Aff. C-236/01, Rec. 2003 I-08105.

[41] Article 191 TFUE. Le principe de précaution est l’objet d’une communication de la Commission de 2000 visant à préciser sa définition et ses conditions d’utilisation ; Communication de la Commission du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution, COM(2000) 1 final – Non publié au journal officiel.

[42] Article 5 de la Charte de l’environnement introduite dans la Constitution par la LOI constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, J.O.R.F. n°51, 2 mars 2005, p. 3697. Le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe de précaution  en 2008 ; C.C., Déc. n°2008-564 DC, 19 juin 2008, Loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 18.

[43] En droit français, v. par exemple Loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, J.O.R.F., 26 juin 2008, p. 10228.

En droit européen, et pour la matière nous concernant, Directive 2001/18/CE (cons. 8 et article 1)

[44] V. par exemple le cas autrichien : Commission européenne, Déc. N°2003/653/CE relative aux dispositions nationales interdisant l’utilisation d’O.G.M. dans la province de Haute-Autriche en vertu de l’article 95-5 du Traité CE, J.O.U.E.  L230, 16 sept. 2003, p. 34, ; confirmé par TPICE, 5 oct. 2005, Autriche c. Commission, Aff. jointes T-366/03 et T-235/04 ; confirmé par CJCE, 13 sept. 2007, Land Oberösterreich et République d’Autriche contre Commission des Communautés européennes, Aff. jointes C-439/05 P et C-454/05 P, rec. 2007 I-07141.

[45] En novembre 2011, le Conseil d’État a annulé le premier arrêté suspendant la mise en culture des variétés de semence de maïs génétiquement modifié MON810 pour défaut de base légal. Le ministre s’était fondé sur la clause de sauvegarde inscrite à l’article 23 de la directive 2001/18/CE alors que l’article 34 du règlement 1829/2003 était applicable. (V. en ce sens l’arrêt rendu par le Conseil d’État après renvoi préjudiciel CE, 28 nov. 2011, n° 313546, 313548, 313605, 313614, 313616, 313618, 313620, 313622, 313624, 313683, Sté Monsanto SAS et a. ; n° 312921, Sté Monsanto SAS et a). Suite à cette annulation, le ministre a pris un second arrêté, en avril 2012, se fondant cette fois sur la base légale adéquate.

[46] CE, 1er août 2013, aff. 358103 annulant l’arrêté du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810).

[47] COMEPRA, 5e avis du COMEPRA INRA sur les O.G.M. végétaux – octobre 2004, p. 1

[48] Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL  modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’O.G.M. sur leur territoire {COM(2010) 380 final}, 13 juillet 2010, p. 2.

[49] Ibidem.

[50] Ibid., art. 1er

[51] La dernière réunion du Conseil environnement s’était soldée par le constat d’un échec politique du à la présence d’une minorité de blocage. V. en ce sens Conseil Environnement, 9 mars 2012, PRES/12/99.

[52] « La présidence a pour objectif de parvenir à un accord politique et de préparer l’adoption de cet acte législatif important d’ici la fin 2014 », Conseil Environnement, 3 mars 2014, Communiqué de presse provisoire, 7094/14, p. 8. (C’est nous qui soulignons).

[53] Il ne s’agit en effet pas de poser le principe d’une interdiction généralisée de mise sur le marché d’une semence génétiquement modifiée mais de donner la possibilité à un État de l’interdire sur son territoire.

[54] Directive 2001/18/CE, cons. 9.

[55] CJCE, 16 juillet 2009, Commission c. Pologne, aff. C-165/08, rec. p. 6843.

[56] V. MICHEL, « Organismes génétiquement modifiés », Europe n° 10, Octobre 2009,  comm. 360.

[57] Loi n°2008-595 du 25 juin 2008 relative aux O.G.M. précitée, article 3.

[58] La deuxième composante du H.C.B. – également indépendante – est le Comité scientifique.